Michel Déon ou rien !
Victor Hugo, dès quatorze ans, n’avait pas peur d’écrire dans son cahier d’écolier : « Je veux être Chateaubriand ou rien ».
J’ai personnellement dépassé, depuis longtemps, cet âge pour qu’on puisse me qualifier de jeune ambitieux. Cependant, à mon tour, j’aimerais vivement m’écrier : « Je veux être Michel Déon ou rien ». Je m’en explique.
La première raison est que Michel Déon, né à Paris le 4 août 1919 et mort à Galway (Irlande) le 28 décembre 2016, est un grand écrivain français. Je n’ai certes pas la prétention d’occuper un jour le fauteuil qui fut le sien à l’Académie française. Mais je dois avouer que j’ai beaucoup aimé son roman « Un taxi mauve » paru chez Gallimard en 1973, tout comme j’ai adoré le film qu’Yves Boisset en a tiré quatre ans plus tard. Je souhaiterais par conséquent avoir ses qualités littéraires.
La deuxième raison est que Michel Déon a choisi de quitter la France pour un pays étranger afin de continuer à y cultiver, au calme, son goût et sa passion pour l’écriture. Ce pays fut l’Irlande. Comme je l’ai signalé plus haut, c’est à Galway qu’il mourra, en 2016, à l’âge de 97 ans. En Février 2018, face à la mobilisation du monde littéraire et après une semaine de polémique inutile, Anne Hidalgo, la maire de Paris, fera marche arrière et accordera une dérogation à Alice Déon (1), la fille de l’académicien, afin que la dépouille de son père puisse reposer au cimetière du Montparnasse.
Depuis 2015, j’ai acquis, pour trente ans, une concession dans le petit cimetière de Pont-Croix. C’est là que je voudrais être inhumé. Et, lorsque viendra mon heure dernière, cela ne posera légalement aucun problème, quel que soit mon lieu de résidence. Néanmoins, la situation qui prévaut actuellement en France (crise des Gilets jaunes, violences persistantes dans les banlieues, croissance des incivilités, fâcheuse tendance de la moyenne des Français à se plaindre de tout et de rien en pensant qu’ils sont encore le centre du monde, etc) me donne une furieuse envie d’aller vivre ailleurs. Ailleurs ? Cela pourrait être le Norfolk, ce coin de la vieille Angleterre d’où je vous écris aujourd’hui. Après avoir passé mon enfance et ma jeunesse en Afrique et vécu la majeure partie de mon existence d’adulte en France, je voudrais couler mes vieux jours à Norwich, cette charmante cité de quelque 160.000 habitants qui abrite l’Université d’East Anglia où notre petite-fille Sarah fait son droit depuis deux ans déjà. C’est la troisième fois que nous venons y séjourner une semaine en sa compagnie, à l’occasion de son anniversaire. Et, à chaque fois, c’est toujours pour moi le même ravissement.
Norwich est une ville à dimension humaine qui offre toutes sortes de commodités. J’apprécie personnellement le fait qu’elle ne soit pas envahie par les voitures. La population y circule en utilisant principalement les transports en commun, les nombreuses lignes de bus en particulier. J’aime me promener le long de la rivière Wensum que bordent de beaux cottages et de magnifiques saules pleureurs. Le centre du bourg invite aussi à la flânerie entre grands magasins, marchés typiques, multiples restaurants et pubs, musées et diverses églises. Parmi ces dernières, il me faut citer la cathédrale anglicane, construite à partir de 1096, dont le calcaire fut importé de Caen, en Normandie. Il ne faut point la confondre avec la cathédrale catholique Saint-Jean-Baptiste dont l’édification, entre 1882 et 1910, fut bien postérieure. Autre avantage : Norwich se situe à deux heures de train à peine au nord-est de Londres. Cela laisse par conséquent le loisir de retrouver l’animation et tous les avantages d’une grande métropole (et la turbulence qui va avec), sans avoir nécessairement besoin de revenir à Paris. Ultime point que je soulignerais en faveur d’une installation à Norwich : la garantie de pouvoir y perfectionner mon anglais, tant à l’écrit qu’à l’oral ; ceci peut ouvrir d’autres horizons, y compris dans le domaine littéraire.
Si j’exprime si clairement ce que je souhaite, il en va de même pour tout ce dont je ne veux pas. C’est uniquement pour éviter d’attirer les foudres des censeurs sur ma tête – et Dieu sait s’ils sont nombreux ! – que je me refuse de fournir ici la longue liste des pays où je n’ai nullement l’intention de mettre les pieds ou ceux où je n’ai simplement plus envie de retourner. Michel Déon ou pas, Raoul Féliho n’a qu’une vie et entend bien la vivre désormais.
Norwich, 18 novembre 2019
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(1) Née le 30 septembre 1963, elle dirige les Editions de la Table Ronde créées en 1954.