Familles, je vous hais !
La phrase complète d’André Gide extraite des « Nourritures Terrestres » est « Familles, je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. » Gide aurait voulu exprimer là son abomination pour la famille qui permet pourtant la « socialisation primaire » absolument nécessaire au développement de l’enfant.
« Familles, je vous hais ! »
Cette phrase a en moi une autre résonance qui dépasse le monde de l’enfance ; aujourd’hui, elle trouve malheureusement encore un écho chez l’homme adulte que je suis devenu. S’il est vrai que, petit, on a besoin du cocon familial pour éclore, celui-ci devient bien vite un carcan qui empêche de progresser à sa guise. C’est en particulier vrai en Afrique où les liens de solidarité sont très forts, solidarité non seulement vis-à-vis des anciens, mais également à l’égard de tous les membres de la fratrie prise au sens le plus large du terme. Là où le bât blesse, c’est lorsque l’on constate que ce sont souvent les mêmes qui sont mis à contribution, soit parce qu’ils sont les aînés, soit parce qu’ils ont un peu mieux réussi que les autres. D’acte d’entraide bien compris au départ, la solidarité opère un curieux glissement et, de devoir, se transforme peu à peu en un dû. Et gare à celui qui cherche à dénoncer ce qui peut être alors un réel abus. Il est aussitôt montré du doigt, sali, vilipendé. S’il est parti du continent noir pour vivre en Europe, on crie, à qui veut l’entendre, qu’il a oublié la noble tradition de ses pères, qu’il joue au blanc, qu’il se prend pour un blanc.
On a beau s’évertuer de garder un juste milieu, d’essayer de faire une synthèse harmonieuse entre les traditions d’hier et la modernité d’aujourd’hui, les gens, fussent-ils de votre famille, veulent toujours vous faire basculer du côté qui leur sied le mieux, celui où vous devez oublier votre propre personne pour ne satisfaire que leurs seules envies. C’est là que je dis NON et que je crie à mon tour « Familles, je vous hais ! »
Je vous hais pour avoir tué en moi ce qu’il y avait de généreux et de spontané et fait de moi quelqu’un sur la défensive.
Je vous hais pour votre esprit médisant alors que je venais vers vous les mains ouvertes, le coeur plein de confiance et d’espoir.
Je vous hais pour votre méchanceté gratuite et pour votre manque constant de reconnaissance.
Je vous hais enfin pour avoir tué mon rêve, le rêve d’une famille où chacun, à sa place et selon ses moyens, tâcherait de donner le meilleur de lui-même pour le bonheur de tous.
Aujourd’hui, je n’aspire qu’à la paix et, pour l’obtenir, je vous demande simplement de m’oublier, tant il est vrai qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. J’ai au moins la certitude qu’il me restera toujours mes amis qui sont gens que j’ai choisis parce que je retrouve en eux des valeurs qui me sont chères et que je ne voudrais sacrifier pour rien au monde : la sincérité, la bonté et la simplicité.
Familles, je vous hais !
Plaisir, 13 janvier 2013