Ma commission pour toi
A toi qui t’en vas demain de cette ville
Je voudrais cette humble tâche confier :
A l’heure qu’on dit être celle du laitier
Tu tremperas mon bracelet dans l’eau du Nil.
C’est l’heure bénie où tout repose encor
La maisonnée dort, les enfants sont assoupis,
Et moi qui n’ai jamais eu la moindre roupie
Je te remets ce bracelet qui vaut de l’or.
S’il vaut de l’or, c’est qu’il me vient d’un vieil ami
Léopold Bras Cabral est son nom : retiens-le !
Pendant années, années d’années, nous étions deux
Lui et moi, moi et lui, sassés au même tamis.
C’était au lycée, avec le bac à passer
Je suis parti en terre de France gagner ma vie
Léopold jamais n’a voulu changer d’avis
Là-bas, au Sénégal, c’est un maître à penser.
Un été, il est venu en belle Flandre
Me visiter. Ce bracelet fut son cadeau
Pour me rappeler l’Afrique, ce vieux radeau
Qui de nos vies usées suivait les méandres.
C’est un bracelet maure, un bracelet d’argent
Joliment travaillé, avec des filigranes
Arme contondante pour cogner sur les crânes
Des marlous qui en voudraient à mon argent.
Depuis dix-huit ans, il ne m’a jamais quitté
Témoin fidèle de mes angoisses et de mes joies
Aujourd’hui que tu t’en vas, il est tout à toi
Trempe-le dans le Nil, ton fleuve, ma vérité.
Nanterre, février 1997