Sa parole contre la mienne

 

 

Sa parole contre la mienne…

 

Hier, 7 juillet, c’était la Saint-Raoul, c’était ma fête. D’assez bonne heure, je m’étais mis sur sur mon trente-et-un[1] ; j’avais rendez-vous à Paris pour déjeuner avec Mélanie Erhardy, la mère de mon collègue et ami Thomas Erhardy qui est, depuis bientôt deux ans, attaché de sécurité intérieure à l‘ambassade de France à Tirana. Mélanie est aussi la veuve de Joseph Erhardy, le sculpteur de talent qui compte parmi ses multiples œuvres des bustes de Raymond Aron[2], de François Mitterrand et même de Simone Veil qui vient tout juste de nous quitter. Ce fut en juillet 2005 que je visitai, pour la première fois, l’atelier de Joseph au 73, rue du Commerce, à Paris 15ème. Il m’a dit alors, avec un brin d’humour : « Tous ces grands personnages sont venus prendre la pose dans ce même lieu durant des heures ».

Hier, c’était donc ma fête ; mais je dois avouer que ma journée avait assez mal commencé. J’avais prévu de prendre l’omnibus de Paris-Montparnasse à 10h56 pour pouvoir être à temps au restaurant « La Cochonnaille » sis au 21, rue de La Harpe à Paris 5ème. J’y avais réservé une table pour deux, à 12h30 tapantes, sous le pseudonyme sous lequel me connaissent, depuis plus de quinze années, le patron, Michel Mouly, et les serveurs : le Baron Noir ! Lorsque je me suis approché du guichet de la gare de Plaisir-Grignon installé depuis plusieurs mois à l’extérieur pour cause de travaux, il y avait déjà une queue significative de voyageurs. J’ai donc opté pour l’automate situé juste à côté. Manque de bol, celui-ci était en maintenance, tout comme le second situé à l’intérieur de la gare et auprès duquel s’affairaient déjà deux techniciens. J’ai été contraint par conséquent de venir reprendre docilement ma place dans la queue. Devant moi, il y avait deux touristes étrangères qui expliquaient en anglais à l’employée leurs besoins. Après que celle-ci a mis quelque temps pour les comprendre et les satisfaire, elles furent suivies par une jeune fille qui fut plus rapide dans l’expression de sa requête. Puis vint enfin mon tour. Je demandai un Mobilis 5 zones pour la journée, ce précieux sésame qui permet d’emprunter indistinctement le train, le métro, le bus ou le tramway dans la zone considérée, et je l’acquittai avec ma carte Visa Premier. Lorsque la préposée me remit celle-ci ainsi que mon reçu d’achat d’un montant de 17,30 €, alors que je m’apprêtais à les ranger dans mon portefeuille comme à l’accoutumée, je constatai immédiatement qu’il me manquait le titre de transport et je lui en fis aussitôt la remarque ; je m’étais juste écarté de deux pas du guichet afin de laisser la place à la cliente suivante. La réponse de l’employée fut cinglante : « Monsieur, je vous ai tout donné ; vous n’aviez qu’à vérifier votre achat avant de partir ! ». Partir ? Je n’avais pas quitté les lieux et je me trouvais toujours sur la plateforme, juste de l’autre côté de la baie vitrée qui nous séparait. Après avoir décliné ma qualité de Commandant de Police honoraire, je lui proposai de vérifier elle-même le contenu de mon sac ou d’appeler un de ses collègues pour procéder à une fouille en règle de ma personne et de mes effets. Rien n’y fit. C’était sa parole contre la mienne ! Je demandai alors à voir un responsable. Alors que j’avais effectué l’achat de mon titre de transport à 10h52, je vis le train de 10h56 s’ébranler sous mes yeux.

Ce ne furent que vingt minutes plus tard qu’il me fut enfin donné de rencontrer une responsable. Elle se présenta à moi pour m’annoncer qu’elle ne pouvait rien faire en la circonstance : mon seul recours était d’adresser une lettre de réclamation au service clientèle Transilien dont elle me communiqua aimablement les coordonnées. Voyant que la queue au guichet était toujours aussi importante, elle s’offrit de m’aider à acheter un autre titre de transport à l’automate. Je lui fis observer que j’avais déjà essayé et que celui-ci était temporairement hors-service. Elle tenta néanmoins et constata par elle-même que les deux automates de la gare de Plaisir-Grignon ne fonctionnaient pas au moment précité. J’acquittai un second Mobilis à 11h24 et je pus monter à bord du semi-direct de 11h36. Arrivé à la gare de Paris-Montparnasse, j’empruntai le bus de la ligne 96 qui me déposa, à 12h35, à l’arrêt du boulevard Saint-Michel. A La Cochonnaille, Mélanie m’attendait déjà, sagement assise à une table en terrasse : je n’avais que sept petites minutes de retard à notre rendez-vous.

Sans nous embarrasser de protocole, nous avons opté pour le menu du jour et déjeuné de fort bon appétit. Le patron et sa femme sont venus nous saluer et me souhaiter une bonne fête. Comme convenu, Mélanie et moi sommes allés ensuite au cinéma. A 15 heures, nous avons vu et bien aimé « Cherchez la femme » au cinéma MK2 Hautefeuille situé dans la rue du même nom. A notre sortie, nous avons rejoint mon épouse à la terrasse du café-restaurant Lutèce, sur le Boul’ Mich’. A un moment donné, nous avons même vu le chanteur-acteur Marc Lavoine sortir du restaurant, passer près de notre table, et se diriger vers le parking tout proche. Tout ceci fait partie des petites surprises du gai Paris.

Mes deux compagnes du jour devant vaquer l’une et l’autre à leurs diverses occupations, en cinéphile infatigable, j’ai continué seul ma quête pour aller voir à pied « Ce qui nous lie », le nouveau film de Cédric Klapisch, à l’UGC Danton, Place de l’Odéon. En ressortant, j’ai de nouveau attrapé, sur le trottoir d’en face, le bus 96 ; j’étais à temps à la Gare Montparnasse pour le train de 19h39 de Mantes-la-Jolie qui m’a ramené paisiblement, à 20h25, à Plaisir-Grignon.

Je peux donc considérer que, n’eût été l’épisode fâcheux du Mobilis, ma journée de ce vendredi 7 juillet 2017 se sera déroulée au mieux de mes espérances. L’ennui est que des incidents du genre, qui nous laissent un peu désemparés, sont à répétition. Ma femme et moi ne comptons plus les fois où, partant tout guillerets de Plaisir à la conquête de Paris, nous nous sommes trouvés bloqués à la sortie de la gare Montparnasse à cause d’un titre de transport démagnétisé. Et comme les guichets ne se trouvent que de l’autre côté des tourniquets, il faut, à chaque fois, accomplir un tour de force pour pourvoir se tirer d’affaire. La SNCF… à nous de vous faire préférer le train ?

Plaisir, 8 juillet 2017

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[1] Sans verser dans la sapologie congolaise, compte tenu de la forte chaleur, je m’étais habillé d’une chemise Lacoste en coton d’un blanc immaculé retroussée aux manches ; d’un pantalon Lee en coton couleur coq de roche soutenu par une large ceinture Levi’s en cuir marron ; et je chaussais les nouveaux mocassins de cuir Minelli rouge chocolat que Soad m’a offerts, la semaine dernière, à l’occasion des soldes.

[2] L’hebdomadaire Le Point n° 2339 de cette semaine, consacré exclusivement à Simone Veil (1927-2017), précise que Raymond Aron connaissait bien André et Yvonne Jacob, ses parents : « … Il fait leur connaissance sur la plage de La Ciotat en 1933. Le jeune philosophe, qui enseigne alors en Allemagne, leur décrit avec effroi, entre deux parties de tennis, la montée du nazisme, la fascination qu’exerce Hitler sur les masses, les persécutions contre les juifs. André Jacob ne veut pas y croire. Sa foi en la France l’emporte sur son anti-germanisme… Embarqués pour la Silésie, André Jacob et son fils Jean ne reviendront jamais. »