Vers où Israël ?

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VERS OÙ ISRAËL ?

 

     Hier soir a eu lieu, durant plus de deux heures et devant une salle comble, la projection du film de Camille Clavel Vers où Israël ? aux 3 Luxembourg, à Paris 6ème.

    Le jeune cinéaste a su rendre avec beaucoup de justesse la complexité du «vivre ensemble» entre Palestiniens et Israéliens depuis la création de l’Etat juif en 1948. Pour lui, une coexistence possible entre les deux communautés passe nécessairement par un devoir de mémoire, la reconnaissance par les Juifs du phénomène de l’Akba qui a spolié, et sans aucune indemnisation, les Palestiniens des terres et des biens qu’ils possédaient avant la création de l’Etat d’Israël. C’est ainsi que, pour l’exemple, le film rapporte que l’Université actuelle de Tel-Aviv a été construite sur le territoire d’un ancien village arabe et que la « Maison verte » qui sert de club pour les professeurs de cette même université était celle d’un riche propriétaire musulman. Et il n’existe pas un musée ni même une simple plaque pour rappeler ces faits douloureux… alors que l’Université de Tel-Aviv compte en son sein quatre grands musées. Tout semble être fait par les autorités israéliennes pour proscrire à jamais le souvenir de ce passé antérieur à l’histoire officielle de l’Etat juif. D’où la poursuite des expulsions, les destructions des maisons de Palestiniens à coup de bulldozers et les occupations des terres ainsi conquises pour installer de nouveaux colons juifs.

     Le débat organisé ensuite en présence du réalisateur et de l’historien Shlomo Sand fut tout aussi long et intéressant. Contrairement à ce qui se passe généralement au cours de ce type d’échanges lorsque la politique de l’Etat d’Israël est mise en cause, il n’y a pas eu de réactions de rejet ni de départs intempestifs de la salle en signe de désapprobation. Un spectateur palestinien a posé à Shlomo Sand la question épineuse du retour des réfugiés. La réponse de l’historien a été sans ambigüité : il n’y aura pas de retour possible à la situation d’avant 1948 ; un retour massif en Israël des quelque cinq millions de réfugiés palestiniens vivant actuellement au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Egypte ou ailleurs, créerait un déséquilibre démographique qui remettrait en cause la nature même de l’Etat d’Israël. En revanche, Shlomo Sand serait favorable à l’instauration de deux Etats, un palestinien et un israélien, dans le cadre d’une confédération qui aurait Jérusalem pour capitale commune, selon des modalités complexes qu’il reste à définir.

     Pour ma part, avant de me faire dédicacer son nouveau livre Comment la terre d’Israël fut inventée, j’ai tenu à demander à l’auteur s’il ne pensait pas que la difficulté de la situation était imputable à l’ostracisme dont faisaient preuve les seuls juifs ashkénazes à l’égard des Palestiniens car, dans le film de Camille Clavel, on ne voit nullement l’intervention des juifs séfarades et, encore moins, celle des juifs falashas. A cette question, les réponses de l’historien puis du réalisateur ont été unanimes : dans leur désir de s’intégrer et de se rapprocher le plus possible de la classe dirigeante des juifs venus essentiellement de l’Europe de l’Est qui ont tendance à les mépriser, ces nouveaux immigrants ont souvent des comportements encore plus racistes à l’égard des Palestiniens, ce qui est un comble mais qui prouve bien qu’on est toujours le juif de quelqu’un, les opprimés d’hier pouvant devenir les oppresseurs de demain.

                                Plaisir, 27 septembre 2012