Lettre ouverte à ma filleule
Ma chère S…
C’est ton message de contentement, posté hier sur ta page Facebook, qui me fait réagir ce matin. J’avais liké de suite et même ajouté un commentaire assorti d’une photo de toi et de ta maman. Aujourd’hui, en ma qualité de parrain, je me dois d’aller plus loin en te donnant les conseils qui suivent, au risque de me montrer intrusif.
Tout d’abord, je vais commencer par te citer dans le texte, sans ôter un iota :
« Votre attention s’il vous plait : j’ai l’honneur de vous présenter la nouvelle agent de maîtrise… MOI!! …merci merci ce fus dur mais j’y suis mdr! En gros nouvel appart, promotion dc new Job, nouveau magasin bref nouvelle vie!! ».
Ta joie et ta satisfaction sont légitimes : tu as travaillé dur pour parvenir à ce résultat. A présent, il s’agit de conforter tes acquis et de les rendre pérennes. Pour ce faire, mon premier conseil serait de te recommander d’être moins visible sur Facebook. Je me suis laissé dire que les DRH des boîtes sérieuses avaient désormais pour coutume de parcourir les réseaux sociaux afin de déceler les failles cachées de leurs candidats potentiels. Ne va donc pas te laisser bêtement piéger en leur révélant toi-même des choses qu’ils ne sont pas censés savoir et qui pourraient donner une mauvaise image de toi. Tu trouveras sûrement ce conseil un peu curieux de la part de quelqu’un qui, comme moi, est très présent sur lesdits réseaux. La différence est que, à 61 ans passés et déjà retraité de la fonction publique, j’ai ma vie derrière moi et que je puis me payer ce luxe qui est celui de la liberté d’expression. Mon deuxième conseil serait de soigner ta prose et de fuir comme la peste cette écriture mécanique et stéréotypée qui est le symbole d’une certaine jeunesse ; tu seras évaluée également là-dessus, surtout au moment où tu voudras accéder à la position de cadre. Je ne vais donc pas te faire l’affront de corriger les lignes ci-dessus que j’ai volontairement mises en italique, mais songes-y ! Quant à mon troisième conseil, tu ne vas pas l’aimer car il touche à ta vie privée. Mais, ayant décidé de jouer mon rôle de parrain jusqu’au bout, je prends le risque de te déplaire aujourd’hui, assuré que je suis que tu sauras, un jour (dans un an, dans deux ans, guère plus) me donner raison.
Je n’ai personnellement rien contre ton ami I… avec lequel tu t’installes aujourd’hui dans ta nouvelle vie ; mais mon sentiment d’homme est qu’il n’est pas fait pour toi, simplement parce que tu mérites mieux. Lorsqu’un homme aime véritablement une femme, il cherche non seulement à lui plaire, mais il veut également lui montrer qu’il saura la protéger tout au long de sa vie en lui assurant le confort moral et matériel. De ce que je sais de ton ami depuis les sept années que vous vivez ensemble, il n’a pas fait grand chose de transcendant et vivrait plutôt à tes crochets. Diable ! Il n’y a pas que la baise dans la vie ! Il a beau être un bon coup, ce n’est pas cela qui met du beurre dans les épinards et permet de construire un solide foyer. Durant les deux allers-retours que nous avons effectués de la Celle-Saint-Cloud à Chantilly pour ton déménagement, j’ai eu le loisir de discuter seul à seul avec lui. La vérité m’oblige à te dire qu’il est terriblement limité. Il m’a parlé un peu de sa vie, de la nombreuse fratrie comorienne dont il était issu, et il a pris soin de lisser tous les aspects dérangeants, à croire que je les ignorais. Il s’est ainsi bien gardé de me dire, alors qu’il n’a pas encore trente ans, qu’il était le géniteur (je ne dis pas le père) de quatre enfants issus de trois femmes différentes.
Arrivé en France à l’âge de 18 ans, « poussé par un désir fou de découvrir la Tour Eiffel », la seule chose qu’il ait fait de valable depuis a été son service militaire qui lui a permis d’obtenir ses permis VL et poids lourds. Seulement, à la différence de deux de ses frères aînés (un sous-officier d’active et un gendarme), il n’a pas voulu rester dans l’armée où il gagnait pourtant bien sa vie, parce qu’il voulait kiffer la life. Sur sa vie privée, il m’a juste avoué qu’il s’était fait rouler dans la farine par une de ses conquêtes de Marseille qui s’était emparée de toutes ses économies bancaires alors qu’il était en mission OPEX en Côte d’Ivoire. Peu après, il a eu la chance de te rencontrer à l’occasion d’un QL (j’ai demandé la traduction : Quartier libre) à Paris. Tout cela fait un peu léger si on ajoute que le bonhomme a eu une scolarité plus que primaire.
Et je n’ai pas fini. Durant notre première équipée de 70 kilomètres dans mon fourgon, sachant qu’il était musulman, je l’ai branché sur l’actualité terroriste bruissant de l’exécution d’Hervé Gourdel en Algérie. Sa réaction a été en tous points conforme à celle que j’attendais : une réaction de défense, voire de négation, et non de sereine argumentation. Comment aurait-il pu en être autrement ? Marqué dès son enfance par une mère qui enseignait le Coran à Mayotte, il considère comme intangible tout ce qui est dans ce livre sacré en dépit de l’évolution à la vitesse grand V de la société depuis l’Hégire. De son point de vue, toutes les horreurs que l’on raconte sur les islamistes ne sont que des affabulations destinées à discréditer l’Islam. Pour éclairer ma lanterne, il me donne illico l’exemple suivant : « C’est exactement comme ce qui se passe dans les films de cul. On te montre une femme voilée en train de se faire sodomiser par des blancs pour te faire croire que toutes les femmes musulmanes n’ont que ce fantasme et, à la fin du film, en lisant le générique, tu découvres que les actrices sont roumaines, russes ou polonaises. Voilà le mensonge ! ». Je n’aurais pas été attaché au siège de mon fourgon avec le volant dans les mains, je m’en serais tapé le cul par terre. Le lendemain, au cours du second voyage, entendant sur la radio du véhicule que des hommes cagoulés avaient enterré jusqu’au cou une femme qu’ils avaient ensuite lapidée à mort, il a sauté comme s’il avait été piqué par un taon : « Tu vois, c’est toujours la même histoire ! Tout cela, c’est pour dire du mal de l’Islam ; ces hommes, précisément parce qu’il sont cagoulés, peuvent être n’importe qui. » Aucune parole de commisération pour la malheureuse victime : juste la défense inébranlable de sa foi ! Je lui ai dit alors, d’un ton las que je ne pouvais cacher, qu’il était préférable que nous évitions de parler de religion parce que, manifestement, nous ne serions jamais d’accord. Le restant du trajet, nous avons donc évité ce sujet qui fâche et parlé de la pluie et du beau temps.
Seulement, c’est l’homme avec lequel tu vas désormais vivre, dans un studio de 25 m2 qui va drôlement vous changer du coquet appartement que ta maman vous avait aménagé à l’étage de sa maison de la Celle-Saint-Cloud. Je vois ça d’ici : ça va être sportif, comme sur un ring de boxe ! Lorsque tu rentreras du boulot, exténuée par ta journée de nouvel agent de maîtrise et que tu constateras que Monsieur n’aura rien fait de la sienne, tu vas adorer. Car, c’est l’impression qu’il me donne : celui d’un homme résolument optimiste, qui attend que tout vienne à lui, et qui a surtout l’assurance d‘avoir touché avec toi le jackpot. A quoi cela servirait donc que Ducros se décarcasse ? Il a un bon mandrin !
Je vois donc rapidement les problèmes se profiler à l’horizon. En bon musulman « tradi », il est plus que macho sur les bords et voudra continuellement te soumettre à SA raison. Il éloignera de toi tout ce qu’il considèrera comme une menace à son emprise sur toi, à commencer par ta famille et tes véritables amis. Et si, en dépit de mon avertissement présent, il réussit à te faire un môme, là ma fille, tu es baguée pour longtemps.
Je sais bien que les conseilleurs ne sont pas les payeurs, mais je me devais de te dire tout ceci ce matin. J’ai mis le Christ en croix en illustration de la présente lettre. C’est ma foi à moi, celle qui m’a fait accepter d’être ton parrain lorsque tes parents me l’ont demandé. Cette foi, j’essaie de la vivre du mieux que je peux, mais je ne l’impose à personne, pas même à toi. Je ne suis pas du tout certain que ton compagnon sache faire preuve de la même mansuétude.
Pour finir, je vais te faire un aveu. Lorsque je t’ai offert d’assurer ton déménagement avec mon fourgon, je ne savais pas qu’il serait présent, le pensant toujours à Rennes, auquel cas je vous aurais laissés vous débrouiller seuls. Si je t’ai proposé spontanément mon aide, c’est en souvenir de ton pauvre père qui a eu déjà à me solliciter par le passé pour transférer ton barda à l’issue de ta scolarité dans cet établissement privé de Thiais où tu as obtenu ton bac en régime d’internat. J’ai également pensé à ton grand-père maternel qui fut un véritable père pour moi. Aujourd’hui, c’est seulement à toi que je pense.
Bien affectueusement,
Ton parrain.
Plaisir, 5 octobre 2014