De l’Afrique noire

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Mardi 21/12/10

 

Ma chère Armella,

 

     Les quatre années que j’ai passées en Centrafrique avant de prendre ma retraite m’ont dégoûté à jamais de l’Afrique et, crois-le bien, ce n’est pas peu dire. De la même façon qu’on ne peut pas continuer à pleurer éternellement sur l’esclavage que l’Afrique a connu il y a plus de quatre cents ans, de la même façon, me semble-t-il, il serait illusoire de continuer à reprocher à la France son passé colonial alors que les Africains ont majoritairement choisi la voie de l’indépendance, il y a plus de cinquante ans.

     Que s’est-il passé dans l’intervalle ? Au lieu d’avoir de vrais leaders, l’Afrique n’a pâti que de politiciens corrompus qui jouaient le jeu de l’étranger tant que cela faisait leur affaire, et s’empressaient de crier au néo-colonialisme dès que la situation n’était plus à leur avantage. C’est, il me semble, le cas de Laurent Gbagbo aujourd’hui et de bien d’autres.

     J’ai connu Laurent Gbagbo en 1970, alors qu’il était simple professeur d’histoire au Lycée Classique de Cocody. René Verny, mon père adoptif chez qui je résidais alors, y enseignait également la même matière. J’avais 17 ans et je venais de m’inscrire en 1ère année de Sciences économiques à l’Université d’Abidjan. J’ai donc connu le Gbagbo opposant acharné à la politique d’Houphouët qu’il trouvait trop inféodé à la France. Cette opposition lui a d’ailleurs valu de goûter à la prison dans son pays, puis à l’exil en France. Arrivé lui-même au pouvoir par les moyens que l’on sait, il n’a pas hésité à utiliser les mêmes méthodes qu’il reprochait à son illustre prédécesseur : enrichissement personnel, discrimination ethnique, politique populiste, recours à la violence de rues, etc. Le comble de la mascarade a été d’introduire cette notion d’ivoirité (1) qui n’avait pour seul but que de barrer la route à l’opposant potentiel qu’était pour lui Alassane Ouattara. Comment peut-on déclarer, du jour au lendemain, que quelqu’un qui a été Premier ministre de son pays (sous Houphouët) et son représentant reconnu auprès du FMI n’est plus citoyen ivoirien au motif que ses parents seraient nés au Burkina Faso voisin ? Et la farce a continué de plus belle avec la partition du pays en deux et le report sine die des élections pendant cinq longues années. Et lorsque ces élections sont enfin organisées sous les auspices des plus hautes autorités internationales, M. Gbagbo rejette purement et simplement les résultats des urnes parce qu’ils sont en sa défaveur et refuse de quitter le pouvoir. Un vrai déni de démocratie d’où seul le peuple ivoirien sort perdant avec toutes ces morts inutiles.

     Les puissances étrangères (Grande-Bretagne, Portugal, France et Belgique hier ; Russie et Chine aujourd’hui) continuent à faire leur miel en Afrique parce qu’elles y trouvent toujours des valets disposés à servir leur cause. La conservation du franc CFA (2) ) jusqu’à nos jours démontre que tout change… précisément parce que rien ne change. Comme l’écrivait Frantz Fanon, « l’ennemi du nègre n’est pas le blanc, mais souvent son propre congénère ». Et il citait l’exemple de Moïse Tschombé faisant assassiner Patrice Lumumba pour illustrer la vanité de la négritude que chantait Senghor.

     Ta mère m’a confié que Yayi Boni, que le peuple avait accueilli au Bénin avec tant d’espoir, est aujourd’hui honni par tout le monde pour des raisons quasiment analogues. Pour réussir à sortir de ce marasme, au train où vont les choses et avec les mentalités qui sont nôtres, je crains sincèrement que, dans les différents pays africains, l’homme providentiel ne soit pas pour demain. Par conséquent, plutôt que de toujours chercher un bouc-émissaire à l’étranger, commençons par nous demander si nous ne sommes pas la source de nos propres maux.

Bien à toi,

RF.


(1) Rectification : c’est le président Konan Bédié (et non Laurent Gbagbo) qui aurait introduit, dès 1994, le concept de l’ivoirité dans un contexte de crise économique.

(2) Né le 26 décembre 1945, le franc des « Colonies Françaises d’Afrique » prendra la dénomination de franc de la « Communauté Financière Africaine » pour les Etats membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), et franc de la « Coopération financière en Afrique Centrale » pour les pays membres de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC).