Ma vie d’hôtel
J’étais Econome, mais on m’appelait La Taupe
Sais-tu pourquoi, dis, toi qui ris aux éclats ?
C’est que je ne voyais jamais la lumière du jour
Cloîtré comme je l’étais dans mon premier sous-sol
Premier, car il y en avait un second, encore plus grand,
La vraie vie des profondeurs, ma vie d’hôtel !
Cela a duré seize bons mois, puis j’en ai eu assez.
J’avais besoin d’air pur, j’avais besoin de soleil
Pas pour bronzer – je n’étais plus assez idiot ! –
Mais pour aimer la vie, la seule vie qu’il me restait
A moi, pauvre nègre perdu en cette terre de Flandre.
Toi, tu étais au-dessus de ma tête, tu écrasais ma tête.
N’était-ce pas toi la nouvelle demoiselle de la réception,
Celle qui devait toujours sourire aux précieux clients
Pour qu’ils consentent à cracher au Frantel bassinet ?
J’étais Econome et l’hôtel ne manquait de rien ;
J’étais Econome et mon dur travail faisais bien.
Mais je ne voulais plus qu’on soit économe de ma paye,
Ni de mon avenir, ni de ma vie, la vie qu’il me restait ;
Comprends-tu cela, dis, toi qui ris aux éclats ?
Alors, j’ai donné mon congé et j’ai pris des vacances,
Des vacances studieuses aux frais du Gouvernement.
Et aujourd’hui que me revoilà dans cette morne ville
Je me demande comment j’ai fait pour accepter
D’être si longtemps enterré sous la Tour du Reuze.
Il aurait bien ri le Reuze, pour sûr qu’il aurait bien ri
S’il avait su qu’il y avait un nègre, un nègre de vrai,
Pendant seize bons mois caché dans ses profondeurs.
Dunkerque, août 1977