Lettre à ma tante mariée
Salut à toi, Grande Amazone, femme-chef de mon clan !
Salut à toi ! Cela fait tant d’années, années d’années
Que je ne sais plus quand dernière fois je t’ai vue.
Le Noir Pays où tu es restée est si loin et moi,
Fils de ta race pourtant, j’en ai si peur !
Tu sais que je suis parti pour ne plus revenir,
Tu l’as toujours su, n’est-ce pas, mon abeille butineuse ?
Ma mémoire se souvient de ton passage rue Oberlin :
C’était à Strasbourg, où je ne revenais plus souvent.
Tu as dormi dans ma petite case sous les toits,
Puis tu t’en es retournée vers le vaste continent.
Femme de tête, là-bas tu trouvais ta vraie dimension
Dimension à la mesure de cette Afrique nouvelle
Qui, de toute son âme, voulait femme aussi libérer.
Tu es repartie, me laissant un peu d’argent et d’amour
Et je n’ai plus eu de tes nouvelles jusqu’à ce jour.
Et tant de choses ont changé : le fils est devenu homme !
Le fils de l’homme a pris femme ! Et tu as été meurtrie ?
C’était si inattendu, c’était trop brutal : c’était la vie !
La simple vie qui veut que les enfants d’aujourd’hui
Ne vivent plus avec les grand-mères d’hier, comme hier,
Mais choisissent d’autres sentiers qui mènent loin, si loin.
Ta voix s’est tue et la pauvre mienne n’a plus osé t’appeler.
Dehors, la vie bousculait de toutes parts, de toutes ses forces,
Et ne donnait plus au fils de l’homme loisir à émotion.
Toi aussi, tu te refusais jusqu’alors à faire du sentiment :
Le temps n’était pas à l’amour : le temps n’était qu’au combat !
Et voilà qu’aujourd’hui on m’apprend que tu t’es mariée.
Nouvelle m’en est venue de loin, par les pistes poudreuses
Et, à la vérité, a fortement réjoui mon cœur d’homme-enfant.
Toi, la Grande Amazone, tu rendais les armes au nouveau roi ;
Tu ne voulais plus qu’être femme, femme de vie et d’amour.
Puisses-tu être pleinement heureuse pour mille et mille ans.
Elle n’est plus la Grande Amazone, la femme-chef de mon clan !
Dunkerque, 19 août 1977