SOUVENIR DE MA GRAND-MERE
Nanan, je pense à toi, au premier souvenir que j’ai de toi.
Nous marchions sur la route qui va de Ouidah à Zoungbodji ;
J’étais petit et toi, tu n’étais plus très jeune.
Nous effeuillions les branches graciles des palmiers
Pour en faire de menus balais que tu revendais.
Je me sentais l’âme orpheline. Pounon était à Douala,
Au Cameroun, et l’oncle Clément était si peu affectueux.
J’allais à l’école de la petite mission catholique
Dans ma morne existence d’enfant, les jours où tu venais
Me voir étaient véritablement jours de fête.
Mon cœur de prisonnier tressaillait d’allégresse ;
La main dans la main, nous marchions de conserve
Sur la grande route qui mène à la mer, au Golfe du Bénin.
Souvent tu m’achetais un petit pain : j’avais toujours si faim !
Tu restais deux, trois jours, puis tu repartais
Là-bas à Porto-Novo, chez la tante Anne, ou alors
Tu t’en allais à Abomey faire des sacrifices aux dieux anciens.
Et moi, pauvre enfant perdu, je devenais triste à en mourir.
Il y avait bien l’école, mes amis pêcheurs de l’école,
Mais rien de tout cela ne remplissait ma vie, ma vie
Que je sentais confusément ailleurs, bien loin de l’oncle,
Bien loin de Ouidah-la-Portugaise, bien loin du Dahomey.
Et un beau jour du joli mois de Mai – ô Vierge Marie ! –
Je me suis enfui par la route de Cotonou, je me suis enfui
Pour toujours ; il y a de cela aujourd’hui dix-sept années !
Mais Nanan, cela ne m’empêche pas de penser à toi :
Au premier souvenir que ton petit-fils a de toi !
Dunkerque, 25 août 1977