Vous avez dit « Intégration » ?
22 Septembre 2015. Soad et moi attendons à l’une des caisses du magasin Castorama des Clayes-sous-Bois pour régler nos achats. Devant nous, il y a une femme africaine, habillée d’un beau boubou, qui a entamé dans un français de tirailleur une grande discussion avec la jeune caissière. Elle essaie de lui expliquer son problème. Elle vient d’acheter à la découpe une vitre d’une dimension de 1,20 m sur 60 cm environ. Seulement, elle aurait souhaité du double vitrage pour une meilleure isolation ; le vendeur lui aurait dit qu’il y en avait pas. Pourquoi l’avoir fait découper alors ? Premier problème auquel la caissière ne peut bien évidemment apporter aucune solution !
Le second problème semble plus compliqué. La dame est bien disposée à régler son achat. Seulement, elle ne peut l’emporter tout de suite parce qu’elle n’a pas de voiture et qu’elle a peur de casser la vitre en la transportant à pied. Elle demande alors à la caissière s’il n’y aurait pas moyen de la lui garder en magasin le temps que son fils vienne la récupérer, avec un véhicule, à l’issue de sa journée de travail.
L’employée, qui semble être une débutante, interroge sa collègue de la caisse voisine. Celle-ci répond catégoriquement que cela n’est pas possible pour une question d’assurance et de responsabilité. Cela fait déjà dix minutes que nous patientons dans la queue. Bonne fille, la caissière nous prie de patienter un peu encore et prend l’initiative d’appeler le responsable du rayon vitrerie à qui elle reformule la requête de la dame. Et là, bingo : elle obtient gain de cause ! Pendant son échange téléphonique, je m’étais enquis de mon côté de l’endroit où celle-ci habitait. Elle résidait comme nous à Plaisir, mais du côté du Théâtre Espace Coluche. Je remerciai donc la caissière de son obstination, de sa gentillesse et, surtout, de la grande patience qu’elle-même avait manifestée, et je m’offris d’assurer le transport de la dame et de sa fragile acquisition. Toute suprise par notre offre, la caissière l’accepta avec joie comme s’il s’agissait d’elle-même. Après avoir réglé nos propres achats, je m’emparai de la vitre et je me dirigeai vers la sortie, suivi de Soad. Une fois sur le parking, je mis la vitre bien à plat sur le plancher du véhicule. Soad s’installa à côté de moi, à l’avant du fourgon, pour laisser la troisième place de la banquette à notre passagère du jour. Ne la voyant pas apparaître alors que je la croyais sur nos talons, je m’en fus à sa recherche et je pénétrai de nouveau dans le magasin. Elle n’était plus à la caisse précitée. Le vigile, un Africain lui aussi, qui avait été témoin de nos échanges, me confirma qu’elle avait bien pris la direction de la sortie. Revenant par cet itinéraire, je trouvai notre dame en train de s’offrir un café au distributeur situé juste après la porte automatique. Nullement incommodée par ma présence, elle attendit tranquillement la fin de l’opération et, son gobelet en plastique à la main, me suivit d’un pas nonchalant, non sans avoir pris le temps d’ajuster les pans de son boubou sur ses épaules. Arrivés à notre véhicule, d’un geste autoritaire, elle tendit son gobelet de café chaud à Soad pour pouvoir se hisser sur le siège. Une fois bien installée, elle daigna alors lui dire merci. Tout à siroter son breuvage, elle ne se préoccupa pas de mettre sa ceinture de sécurité. Agacé comme je l’étais déjà, je décidai de faire l’économie d’une opération qui se révélait plus que périlleuse. Sa boisson enfin avalée, notre dame s’enquit de nos origines. Je laissai à Soad le soin de lui répondre.
Satisfaite, elle nous révéla alors qu’elle-même était Mauritanienne et nous déclara avec componction que Dieu allait nous bénir pour notre gentillesse et nous comblerait de beaucoup d’argent. Nous approchions alors de l’immeuble où elle vivait. Comme il il n’y avait pas de place pour stationner dans sa rue, je laissai la voiture en pleine voie avec les feux de détresse activés, et je portai délicatement la vitre jusque devant l’entrée de son immeuble située dans une courette arrière. La mission était accomplie et le service rendu. Montre en main, nous en avions eu pour cinq minutes pour un détour d’à peine quinze cents mètres. Le problème n’était donc pas là !
Le problème qui me turlupinait était dans le « to take all for granted », le fait de tout prendre pour acquis. Cette femme mauritanienne avait trouvé normal de bloquer pendant un quart d’heure une file de clients à la caisse pour exposer des problèmes qui n’étaient que les siens (Pourquoi avoir fait découper une vitre ordinaire alors qu’elle aurait souhaité du double vitrage ? Pourquoi être venue sans moyen de transport ? Pourquoi avoir pris la peine de venir seule à Castorama alors que son fils paraissait plus indiqué pour cette corvée ?…). Et, cerise sur le gâteau, une fois son problème majeur résolu, elle nous faisait attendre, nous, ses sauveurs du jour, pour déguster un bon café ! Il ne lui serait même pas venu à l’idée de nous en proposer un pour le service que nous nous apprêtions à lui rendre. Elle était juste dans le recevoir et non dans le donner.
Je ne lui fais donc pas l’injure de ne pas savoir parler correctement le français. Je lui reproche seulement ce qui m’a paru un manque flagrant d’éducation, de savoir-vivre. Quelles que soient les latitudes, les bonnes manières sont toujours de rigueur.
Vous avez dit » Intégration » ?
Plaisir, le 17 octobre 2015