Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

 

     Comme je le fais avec plaisir lorsque j’en ai le loisir, j’ai écouté la messe de ce dimanche matin, sur France Culture, tout en préparant mon déjeuner1. Serait-ce à croire que la religion n’est devenue pour moi qu’un élément culturel ? Vaste question que je soumets aux exégètes des Temps modernes !

     La messe de ce 26 janvier 2025, 3e dimanche du temps ordinaire, était retransmise depuis la Chapelle de la Médaille miraculeuse, sise rue du Bac à Paris. Dans les intentions du jour, j’ai retenu qu’il fallait prier particulièrement pour les lépreux dont on célèbre mondialement la journée sous l’égide de la Fondation Raoul Follereau. Raoul Follereau, mon homonyme presque parfait ! Son nom m’est familier depuis mon enfance au Sénégal. Cœur Vaillant puis jeune scout, j’allais avec mes camarades faire la quête en faveur des nombreux lépreux qu’on pouvait encore croiser, mendiant un peu partout dans les rues de Dakar. Stratégiquement, nous nous postions aux feux rouges et, munis de nos petits bidons en fer scellés, nous sollicitions inlassablement la générosité des automobilistes et des piétons. Les années passant, à l’initiative de l’Association sénégalaise d’aide aux lépreux (ASAL), la plupart de ces malades ont été regroupés dans des villages dédiés afin d’y être mieux soignés et éviter les contagions toujours possibles.

     Lorsque les Verny sont arrivés au Sénégal, Régine Verny, ma mère adoptive, a trouvé à s’employer utilement et bénévolement à l’ASAL, à partir de 1964. Elle disposait néanmoins d’une voiture de service, sérigraphiée au nom de l’association, pour assurer ses déplacements dans la capitale et surtout en province. Et c’est là que me remonte à la mémoire la chanson de Brassens, La Ballade des gens qui sont nés quelque part2 , ces gens qu’il qualifie « d’imbéciles heureux ». Cette chanson commence ainsi :

 

C’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villages

Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités

Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages

Ils n’ont qu’un point faible et c’est d’être habités

Et c’est d’être habités par des gens qui regardent

Le reste avec mépris du haut de leurs remparts

La race des chauvins, des porteurs de cocardes

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

 

     Parce que je suis né, moi aussi, quelque part, je dois sûrement compter au nombre desdits imbéciles. Cela doit être d’autant plus vrai que, pour ne parler que de religion, je me targue d’avoir dans mes deux familles respectives, la naturelle et celle d’adoption (ou, pour être plus précis, la béninoise et la française) un évêque. Chacun de ces évêques est mon cousin.

     Le premier, par l’âge et par l’ancienneté, est Monseigneur Clet Féliho. Il a été nommé, le 29 janvier 2000, évêque de Kandi, chef-lieu du département de l’Alibori, au Bénin. Né le 14 février 1954 (il est donc un peu plus jeune que moi), il a été ordonné prêtre le 21 juillet 1979, le même mois et la même année où je débutais, de mon côté, ma carrière dans l’administration française. Monseigneur Clet Féliho est reconnu pour sa vie spirituelle profonde et son engagement pastoral dans cette région du nord du Bénin où il exerce par conséquent depuis bientôt un quart de siècle.

     Le second est Monseigneur Thibault Verny, fils de feu Pierre Verny, lui-même petit-frère de René et André Verny. René Verny et sa femme Régine m’ont élevé depuis mes dix ans, au Sénégal, lorsque les démêlés conjugaux de mes parents ont débuté. Ils ont été mes témoins lorsque je me suis marié, le 2 août 1976, en l’église Notre-Dame-des-Champs (Paris 6ème) où André Verny était vicaire. Par la suite, André fera toujours le déplacement pour baptiser chacun de mes enfants : Christopher, à Roubaix, en janvier 1978 ; Terence à Créteil, en novembre 1984. Pour en revenir à Monseigneur Thibault Verny, il est né le 7 novembre 1965 à Paris. Ordonné prêtre le 29 juin 1996 (je rentrais moi-même d’une mission de coopération de six ans au Venezuela puis en Équateur), cet ingénieur en physique de formation a été nommé, à l’issue de diverses affectations, vicaire général de Paris le 9 mai 2016, évêque auxiliaire de Paris le 25 juin 2016 et, pour finir, archevêque de Chambéry le 27 août 2023. A la fin du mois de novembre dernier, Soad et moi avons effectué, en voiture et depuis Plaisir, un déplacement de huit jours pour aller visiter en Toscane une de ses amies de longue date. Avant d’atteindre le tunnel du Fréjus, nous avons traversé la belle vallée de la Maurienne qui relève, depuis septembre 2023, de la juridiction de Thibault, tout comme celle voisine de la Tarentaise. Si j’ai été un peu plus long sur l’historique de Thibault, c’est que je le connais physiquement, à la différence de Monseigneur Clet Féliho que je n’ai jamais rencontré. La dernière fois que j’ai vu Thibault et que nous avons conversé, c’était aux obsèques de sa mère Monique, en juin 2016, en l’église Notre-Dame de Lorette (Paris 9ème) dont il était alors le curé.

     Et que continuent de prospérer les imbéciles heureux qui sont nés quelque part !

 

Plaisir, 26 janvier 2025


1. Soad est au Caire, depuis ce 14 janvier, pour passer un peu de temps avec ses filles Amira et Wissal. Elle ne me reviendra que le 7 février. Misère !

2. Je livre la chanson de Georges Brassens, dans son intégralité, in fine