De la constance des relations

 

Hier soir, depuis Cayenne où il devait être 20h30 environ et donc minuit passé en France, une excellente amie m’a annoncé, dans un message vocal laissé sur mon portable, le décès en Guadeloupe d’une de nos relations communes. Il s’agit d’un monsieur d’origine tchadienne, avocat de son état, comme l’était d’ailleurs son épouse. Soad et moi les avons un peu fréquentés durant nos quatre années de mission à Bangui avant qu’ils ne se retirent définitivement dans l’île natale de la femme. Le mari étant plutôt du genre taiseux, c’est par conséquent avec la femme que j’ai correspondu un moment. Au bout de quelque temps, constatant qu’elle ne réagissait plus à mes mails, j’ai stoppé mes envois. Et c’est pour moi ici l’occasion de préciser, une fois pour toutes, les choses sur ce point particulier des relations, qu’elles soient familiales ou amicales.

Lorsque je prends la peine d’envoyer des messages à des personnes de ma connaissance, qu’il s’agisse de simples blagues ou de documents plus sérieux touchant notamment à l’actualité sociale ou politique, c’est parce que ces personnes comptent pour moi, qu’elles soient géographiquement proches ou qu’elles vivent au loin. Seulement, les relations ne peuvent pas être à sens unique surtout lorsque, en ce qui me concerne – j’insiste énormément là-dessus, elles ont toujours été désintéressées et mues simplement par l’affection ou l’amitié. Après la pandémie du Covid-19 que nous avons connue en France de janvier 2020 à mai 2022, on pouvait raisonnablement comprendre que beaucoup de gens aient été fortement dérangés dans leurs habitudes et qu’ils n’aient plus eu envie de se remettre à communiquer du jour au lendemain. Moi-même qui écris aujourd’hui ces lignes, j’ai été tellement perturbé par le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, que j’ai pris la décision de ne plus jamais regarder les horreurs télévisées. Mon humeur étant toujours au plus noir, j’ai choisi d’observer une année de retraite complète en 2023. Durant cette année que l’on pourrait qualifier de sabbatique, en dehors de ma femme, je n’ai effectivement communiqué avec qui que ce soit. Mais j’ai eu la courtoisie d’en informer au préalable tous mes correspondants habituels. Et, pour tous ceux qui se souciaient réellement de moi, Soad continuait d’assurer le lien en leur donnant épisodiquement de mes nouvelles. En dépit de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, attaque qui m’a encore fichu un sérieux coup au moral quant à la marche de notre monde dit civilisé, je suis sorti de mon silence au début de 2024. Une fois, encore, j’en ai avisé tous mes correspondants et, vaille que vaille, j’ai repris mes diffusions d’antan. Au bout d’une année de cet exercice, j’ai considéré que les parents ou les amis qui ne s’étaient jamais manifestés, d’une façon ou d’une autre à moi dans l’intervalle, avaient des préoccupations majeures qui excédaient ma pauvre personne et, pour le coup, sans état d’âme, je les ai purement et simplement supprimés de la liste de mes contacts. N’ayant plus leurs numéros de téléphone ni leurs adresses électroniques, ce n’est donc pas demain que je risque de me mettre en rapport avec eux.

Là où il y a de la gêne, c’est bien connu, il n’y a pas de plaisir. Ainsi va la vie… jusqu’à ce que nos morts s’en suivent.   

 

Plaisir, 24 mars 2025