Aujourd’hui, cette grande dame aurait eu 88 ans !
Lorsque je l’ai revue pour la dernière fois, c’était en novembre 2013, à Dakar. Durant ce séjour dans sa maison des HLM 1, en dépit de tous mes efforts, nous nous sommes souvent disputés. La dernière dispute fut malheureusement une de trop : j’ai plié bagages et je suis rentré à Paris, deux semaines plus tôt que prévu.
Ensuite, je suis resté presque deux années sans pouvoir lui parler. C’était comme si, à mon tour, j’étais frappé par le « syndrome de Poupou », notre sœur aînée. Bien qu’ayant tenté une médiation entre les deux femmes durant l’été 2003 à Bordeaux, elles étaient restées brouillées jusqu’à la mort de Poupou en mars 2013 ; Poupou allait sur ses 65 ans, l’âge que je m’apprête à avoir maintenant. Tout comme elle, j’avais été comme anesthésié par ce que j’avais trouvé en cette dame de dureté, d’intransigeance, d’inflexibilité, voire de manque de charité ; elle se disait pourtant catholique et pratiquait sa foi avec ferveur. J’ai donc longtemps gardé le silence, non seulement à son égard, mais également avec le reste de la fratrie. J’en avais assez d’entendre chacun m’inviter à la compréhension et à la patience compte tenu de son grand âge. Je voyais comment elle savait habilement jouer de ce privilège ; mais l’âge ne doit pas être une excuse à la bêtise et, encore moins, à la méchanceté.
Compostelle a été pour moi le chemin de la rédemption et du pardon. C’est en effectuant à pied les 900 kilomètres qui m’ont conduit, en avril 2015, de Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu’au Cap Finistère en Galice que j’ai fini par comprendre qu’il fallait que je débarrasse définitivement mon cœur du poison de la rancœur. A mon retour de cet éprouvant pèlerinage, je l’ai donc appelée ; elle était heureuse de m’entendre et attendait manifestement mon appel avec patience. Les choses ont repris leur cours normal, comme avant et, je ne crains pas de l’écrire, à sa manière… comme toujours.
Que l’on me comprenne bien : mon but n’est pas de régler des comptes à présent qu’elle n’est plus ; ce serait vil et mesquin ! Je veux simplement me souvenir de ce qu’elle-même me disait quand elle avait le sentiment que je la poussais dans ses derniers retranchements : « Je veux avoir la paix ! ».
Avançant moi-même en âge, je réalise combien cette paix est précieuse. C’est pour cela que je choisis de m’éloigner de toute source de conflits et de toute personne qui ne me fait pas du bien. Ce n’est pas de la peur, ce n’est pas de l’indifférence, ce n’est pas de l’égoïsme : mes actions passées et récentes sont là pour en témoigner. C’est tout simplement une conséquence de ma grande lassitude. Je préfère consacrer désormais ce qu’il me reste d’énergie à des choses et à des gens qui me font apprécier le bonheur de vivre, car il faut savoir aimer la vie pour bien la vivre.
Aujourd’hui, cette grande dame aurait eu 88 ans !
Cette grande dame, c’était Véronique Féliho, ma mère, décédée le 27 novembre 2016.
Plaisir, 14 mars 2018